jeudi 8 novembre 2012

Suneung ou l'examen coréen d'entrée à l'université

Aujourd'hui est un jour un peu spécial en Corée, même si de notre côté au laboratoire, on ne peut probablement pas s'en rendre compte. C'est en effet le jour du Suneung (수능) qui a lieu le 2ème jeudi de Novembre tous les ans. Le Suneung, ou aussi appelé en anglais "College Scholastic Ability Test", est l'examen standard accepté pour l'entrée dans n'importe quelle université coréenne, l'équivalent du baccalauréat "en quelque sorte" (la suite de l'article va expliquer ces guillemets).

Il n'est probablement pas possible de ce rendre compte de notre point de vue français, cependant quelques exemples peuvent vous aider à saisir l'importance de cet examen ici.
Tout d'abord au niveau de l'organisation spéciale faite dans tous le pays pour ce jour particulier : les institutions publiques et beaucoup d'entreprises reculent leurs horaires d'ouverture de 9h à 10h pour éviter de créer des embouteillages qui pourraient empêcher certains élèves d'arriver à l'heure sur les lieux d'examen. Ensuite, la fréquence des métros et bus entre 7 et 9h est augmentée, et toute circulation interdite à moins de 200m des centres d'examen. Certains étudiants sont même escortés par la police jusqu'au centre d'examen si ils ne pensent pas arriver à l'heure. Enfin, même les avions sont interdits de décollage ou atterrissage pendant 15min le matin pour la partie écoute de l'épreuve de langue coréenne et pendant 20min pour celle des langues étrangères, afin d'éviter de la pollution sonore.

Également à signaler : les prières des parents pour le succès de leurs enfants devant le lycée, et les élèves des classes inférieures (les juniors) encourageant les élèves passant le test à l'entrée du lycée. Vous pouvez le voir sur la vidéo suivante, ou sur les très bonnes images de l'article suivant.


On pourrait penser que les pauvres étudiants sont les seuls à souffrir. Et bien non, parce que la situation n'est pas envieuse non plus pour les professeurs chargés de créer les épreuves. Ceux-ci passent un mois enfermés, et préparent les énoncés d'examen pendant toute cette période sans aucun contact autorisés avec l'extérieur. Près de 700 personnes pour écrire l'examen, faire les vérifications, mais aussi pour superviser et surveiller tout cela qui ne sont libres de rentrer chez eux qu'à la toute fin de l'examen.
Aucune information ne peut s'échapper, et les règles sont tout aussi strictes pour les élèves le jour du test. Aucun matériel électronique n'est autorisé, des détecteurs de métaux sont installés près des salles de classes, et toute personne souhaitant aller au toilettes est escortée.

Le test est si important que la majorité de l'éducation depuis le primaire-collège est déjà centrée pour la préparation du Suneung. L'entrée à l'université est un passage obligatoire pour les Sud-Coréens, car le pays possède un des plus haut taux de diplômés d'universités. Un mauvais résultat à ce test est donc synonyme de mauvaise université, ou pire de n'être accepté à aucune université, et oblige à repasser l'examen l'année suivante (environ 20% des étudiants font cela). On comprend que la pression relative à cet événement soit donc vraiment immense. Il semblerait que la majorité des étudiants coréens voient cela comme une question de vie ou de mort, on pourrait presque ajouter malheureusement "à juste titre". A remarquer par ailleurs que le taux de suicide chez les coréens est le plus élevé parmi les pays développés de l'OCDE, et que la principale raison cité par les jeunes coréens pour envisager le suicide est... "academic pressure". Dans les autres causes, je pourrais parler aussi de certains cas de manque de tolérance au sein de l'éducation coréenne, avec des intimidations/mauvais traitements/exclusion faites à certaines personnes trop "différentes" (on a ça aussi en France bien sûr, mais ici ne pas rentrer dans la communauté, ne pas être considéré "normal" du point de vue coréen est probablement encore plus difficile) mais cela ne rentre pas dans le cadre de l'article. Vidéo en anglais ci-dessous sur le suicide chez les étudiants.


Ainsi, le ressenti des coréens avant cet examen est que toute leur vie dépend entièrement de cet examen, et beaucoup d'étudiants visent des résultats permettant d'atteindre les cieux, le fameux "SKY", du nom des 3 universités coréennes les plus renommées: Seoul national university, Korea university et Yonsei university.

En ce qui concerne l'examen en lui-même, les élèves ne peuvent le passer qu'une fois par an, et il est donc réservé aux "seniors", les étudiant en dernière année de lycée (même si les autres étudiants des classes inférieures peuvent le passer pour s'entraîner). Le test se déroule sur 9h sur un seul jour, et les épreuves sont divisées de la façon suivante :
  • First period : Korean language, 50 questions including 5 listening items, 08:40~10:00 (80 minutes)
  • Second period : Mathematics (select 1 type) , 30 questions including 9 short-answer questions, 10:30~12:10 (100 minutes)
    • Mathematics Type 'Ga','가' : MathⅠ, MathⅡ, and 1 selection (Further Calculus, Probability and Statistics, Discrete Mathematics)
    • Mathematics Type 'Na','나' : MathⅠ
    • MathⅠ: index numbers and logarithm, matrix, sequence, limit of sequences, exponential and logarithm functions, permutation and combination, probability, statistics. - MathⅡ: equation and inequality, limit of a function and continuity, differentiation of a polynomial function, integration of a polynomial function, quadratic curve, space figure and coordinates, vector.
  • Third period : English with listening, 50 questions including 17 listening items, 13:10~14:20 (70 minutes)
  • Fourth period : Social Studies/Sciences/Vocational Education (select 1 type, and select max. 3 subordinate subject)
    • Social Studies
      • Ethics (Ethics & Thought + Korean Traditional Ethics)
      • Korean History, Korean Modern and Contemporary History, World History
      • Korean Geography, World Geography, Economic Geography
      • Law and Society, Politics, Economics, Society and Culture
    • Sciences (Ⅱ-subjects cannot be chosen up to 2 subjects)
      • Physics Ⅰ, Chemistry Ⅰ, Biology Ⅰ, Earth Science Ⅰ
      • Physics Ⅱ, Chemistry Ⅱ, Biology Ⅱ, Earth Science Ⅱ
    • Vocational Education 
      • 1 subject can be chosen out of 4 computer-related subjects : Agricultural Information Management, Basic Information Technology, General Computers, Fishery and Shipping Information Processing
      • Up to 2 subjects can be selected : Understanding of Agriculture, Techniques in Basic Agriculture, Introduction to Industry, Basic Drafting, Commercial Economy, Principles of Accounting, Introduction to Fisheries, General Marine Affairs, General Oceanography, Human Development, Food and Nutrition, General Design, Programming
  • Fifth period : Foreign Languages or Chinese Characters and Classics 
    • German I, French I, Spanish I, Chinese I, Japanese I, Russian I, Arabic I, Chinese Characters and Classics (select 1 subject)
L'examen est fait de telle façon que le taux de notes maximales dans les différentes épreuves doit être inférieur à 1% des candidats. Après obtention des résultats fin Novembre-début Décembre, les étudiants doivent choisir 3 universités, qui sont divisées en 3 catégories :
- 가 (Ga), qui considèrent seulement le score du Suneung
- 나 (Na), qui considèrent à la fois le score du Suneung et les notes des 3 ans de lycée
- 다 (Da), où sont à la fois considérés le rang académique et la participation à la vie de l'école.

D'autres moyens de rentrer dans les universités sans passer par cet examen existent, comme par exemple étudier dans un lycée à l'étranger ou rentrer sur admission spéciale si on est un athlète, mais cela n'est pas accessible à tous.

Tout cela met en exergue la place probablement trop importante donnée aux résultats purs en Corée. Ici sur les CVs, c'est presque si on met plus en avant son GPA ou son score au TOEIC qu'une quelconque courte expérience professionnelle, et il existe de nombreux tests ou certifications à passer (entre autres le plus connu ici est probablement le SSAT, test d'aptitude pour rentrer chez Samsung). Tout ce système peut forcer les parents à envoyer leurs enfants dans les meilleurs "hagwon" (instituts privés) qui sont légions ici, ou à trouver des tuteurs particuliers. Cette somme importante d'argent investie dans l'éducation peut se révélé ruineux pour les parents à long terme, et la pression sur les enfants n'est que renforcée par toutes ces finances investies en eux pour leur réussite scolaire. 
Avec ça, un trait est aussi tiré sur les loisirs dans la plupart des cas. Pour réussir ces tests, il faut étudier beaucoup et mémoriser, voire plutôt ingurgiter, beaucoup de connaissances. Et puis lorsque l'on voit les épreuves, la créativité peut sembler également ne pas être nécessaire. Ici pas d'improvisation dans la façon de travailler, l'apprentissage se fait à la dure, en passant des heures devant des livres sur son bureau, que ce soit au lycée, au hagwon ou chez soi.

On pourrait se dire qu'après cet examen et l'entrée à l'université, la vie est plus facile, mais ce serait oublier que plus de 80% des étudiants vont à l'université... La concurrence continue donc, et le nombre trop important de personnes ayant un diplôme universitaire fait que beaucoup d'entre eux auront à la sortie une rémunération bien trop faible par rapport à leur niveau de qualification.

Alors certes oui, aucun modèle éducatif n'est pas parfait -le système français a bien des défauts également- et la Corée a montré une réussite certaine par la voie employée quand on voit le classement de ces étudiants parmi les pays développés, mais la question est... à quel prix ? Peu de temps libre et loisirs, une créativité laissée de côté car presque "inutile", stress voire suicide dans le pire des cas... Les élections présidentielles en décembre prochain augureront peut-être de changement dans ce domaine, mais celui-ci risque d'être long et difficile.

En bonus pour terminer, deux vidéos (en anglais) sur le test et l'avis des coréens :

4 commentaires:

  1. Ça ressemble en fait plus à nos concours de classe prépa qu'à notre baccalauréat qui a l'air bien facile comparé à ce test.

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  2. Il y a eu des reportages fort intéressants à ce sujet à la télévision française ces derniers mois, reportages que j'ai regardés avec grand intérêt, sachant votre départ imminent. Je suis étonnée que vous ne l'ayez pas fait, alors que vous vous apprêtiez à y passer 1 an ou 2.
    Ce "système scolaire" est connu du reste du monde.
    Dans un de ces reportages, on voyait 2 petites filles d'une dizaine d'années qui bossaient quasiment nuit et jour, avec force cours particuliers après l'école (23H00 étant pour elle l'heure de début d'une seconde journée).
    Du coup, la mère devait, pour financer ces heures supplémentaires, donner elle aussi des cours jusqu'à des heures impossibles le soir et le week-end, voire la nuit, et le père quant à lui cumulait les heures supplémentaires.
    Ya des trucs bien aussi, à la télé, il faut trier!!!
    Quoiqu'il en soit, les enfants et les jeunes coréens subissent un stress énorme et permanent. L'épanouissement personnel et les loisirs ne sont pas d'actualité, ce qui peut choquer nos mentalités occidentales.
    J'avoue avoir été scotchée lorsque j'ai découvert cela il y a quelques temps.
    Le système américain est différent, le système français s'en rapproche de plus en plus.
    Y en a-t-il un des trois meilleur que les autres?
    Personnellement, je n'en suis pas sûre.
    Moins mauvais, peut-être...mais meilleur?
    Des choix sont faits, pas toujours en connaissance de cause, chacun pense avoir LA SOLUTION ou subit un fonctionnement qu'il n'a pas choisi, mais auquel il doit se conformer faute de quoi il court le risque de "rester sur le carreau".
    Et tant pis pour les dommages collatéraux (suicides, élèves sortant du système scolaire sans aucun diplôme, écoles trop onéreuses pour certaines familles...).
    En tous cas, bon courage à tous les deux pour la suite des événements.
    Jérémie, j'espère qu'on va te voir à Noël, le temps commence à nous paraître long à tous.
    Bisous.
    Titi.

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    1. Hmmm, j'ai vu ce reportage avant de partir, avec effectivement des cours en Hagwon qui se cumulent après les heures de collège ou de lycée. Surtout des cours d'anglais jusqu'à la fin du collège et de tout dans des quantités invraisemblables au Lycée. Même si leurs horaires sont déjà lourds au collège, le véritable enfer de la deuxième journée après l'école et des nuits de 3-4h de sommeil ne commence en général qu'au Lycée en Corée.
      Leur système n'est certainement pas la solution, mais il y aurait probablement quelques trucs à récupérer quand même. Le simple fait que les coréens visent au plus 1% de notes maximales à le examen du Suneug, quand notre éducation nationale veut 80% de réussite au bac (en truquant les notes pour éventuellement), montre déjà qu'ils ne nivellent pas de la même façon.
      Après nous n'envions pas leurs journées que ce soit en tant qu'étudiants ou dans le monde du travail. Même si là encore, même pour le monde du travail, leur système donne aussi à réfléchir.

      Je fais un aller-retour pour un peu plus de 2 semaines à Noël. Professor en aurait presque fait une attaque. (ça fait 2 ans de vacances coréennes)

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  3. C'est vrai qu'un juste milieu entre les différents systèmes serait, peut-être, intéressant.
    Dans le reportage que j'ai vu, les gamines n'étaient pas d'âge collège mais bien primaire, et manifestement elles parlaient l’Anglais couramment.

    A défaut d'Anglais courant, Thomas a eu son permis de conduire, du premier coup.

    Professor va peut-être réfléchir et demander AUSSI des vacances.
    C'est juste qu'il ne savait pas que ça existait...
    Là, ce serait vraiment une révolution.

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